[OGM] Fin de Terminator ou le Bobard de Monsanto
Un message de Jean-Pierre BERLAN, sur la liste ogm@egroups.com, le 17/10/1999 :
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Voici un texte que j'ai envoyé à mes collègues de l'INRA à propos de la
fin de Terminator.
Bonjour,
Pour bien comprendre l'enjeu du brevet sur la "matière vivante" (!) (un
oxymore permettant d'échapper au fait que le droit traditionnel de
brevet exlut le vivant de la brevetabilité) pour l'agriculture, il faut
toujours garder en tête, qu'hélas, pour les "semenciers" et en premier
lieu, pour les semenciers transnationaux qui sont maintenant nos
interlocuteurs, les plantes et les animaux se re-produisent et se
multiplient dans le champ du paysan. Tant qu'il en est ainsi, le
semencier ne peut vendre de "semences" (au sens de logiciel). Le but
final du semencier est donc de faire des variétés que le paysan ne peut
ni re-produire, ni multiplier. (Bien sûr, il ne va pas dire que son
objectif est de se débarrasser de cette malheureuse faculté, ni que le
paysan est son ennemi parce qu'il met en oeuvre cette faculté
merveilleuse dans son champ. Il va dire qu'il veut résoudre la question
de la faim dans le monde, ou produire plus écologiquement, ou améliorer
les plantes - bref un bobard quelconque).
Le brevet constitue une avancée importante pour se débarrasser de ce que
le complexe génético-industriel appelle le "privilège de l'agriculteur"
(!), la pratique constitutive de notre humanité, semer le grain récolté.
Cet objectif sera atteint par étapes, par jusrisprudence et la rédaction
alambiquée et contradictoire de la directive euroéenne 98/44 vise à
laisser aux
tribunaux le soin de terminer en douce le boulot de confiscation du vivant.
Je voudrais dire quelques mots de l'abandon de Terminator. Ne crions
pas victoire trop vite.
L'abandon de Terminator par Monsanto est, certes, un recul de cette
entreprise et un succès pour tous ceux qui se sont battus contre cette technologie
répugnante (incidemment, le terme "répugnant vient d'être utilisé par un
porte-parole de ... Monsanto dans le New-York Times !) J'aurais souhaité
qu'un grand nombre de chercheurs de notre
Maison fassent connaître leur réprobation, mais malheureusement, le
silence a été assourdissant. Mais soyons lucides. Monsanto a fait
retraite en grande partie sous la pression de la Fondation Rockefeller.
Cette dernière a joué un rôle central dans le développement du programme
réductionniste de la biologie dite "moléculaire". C'est Warren Weaver,
Président de cette fondation qui forge le terme et le programme
scientifique correspondant en 1938, lequel s'inscrit dans une
problématique politique de contrôle social et d'ingéniérie sociale (Sur
ces points, le livre excellent de Lily E. Kay, The molecular vision of
life, devrait ouvrir bien des yeux). La Fondation ne pouvait que
regretter la sottise de Monsanto (et du Ministère américain de
l'agriculture) consistant à révéler l'objectif final que l'économie
politique de notre société assigne aux biologistes en agriculture. Oui,
les biotechnologies agricoles débouchent nécessairement dans notre
société sur un vivant dépouillé de sa faculté la plus fondamentale, le
reproduire et se multiplier. Ce sont donc bien, in fine, des nécro-technologies.
En réalité, Monsanto n'a rien perdu dans ce renoncement. Monsanto (et
ses concurrents/alliés) disposent d'autres moyens que Terminator. Il y a
bien entendu le brevet (j'y reviendrai). Mais il y a aussi les
techniques dites "Traitor", très semblables en réalité à Terminator,
consistant à mettre des gènes d'intérêt agronomique qui ne s'expriment
qu'en présence d'un produit chimique de la firme ayant introduit ces
gènes. (Vu le caractère primitif de nos connaissances en matière de
trangénèse, il reste à savoir un tel empilement de gènes sera à même de
donner les résultats escomptés, mais cet une autre affaire).
Il y a aussi la "stérilité" contractuelle. Elle exige que les firmes
aient pris contrôle de l'industrie des "semences" - ce qui est déjà le
cas - et qu'elles contrôlent la recherche publique (ce qui est réalisé
en Angleterre, où Monsanto a pris le contrôle du Plant Breeding
Institute privatisé en 1989 par Miss Thatcher; ce qui est en cours en
France). Le mécanisme est le suivant. Les firmes ont le monopole de la
création variétale. Elles introduisent de nouvelles variétés qui
répondent mieux aux demandes des agriculteurs. Ces derniers veulent les
acheter, mais ne peuvent le faire que s'ils signent un contrat les
engageant à ne pas semer le grain qu'ils récoltent.
La condition du succès est donc d'éliminer toute concurrence de la
recherche publique, c'est-à-dire d'en prendre le contrôle effectif,
directement comme en Angleterre, ou indirectement comme elles tentent de
le faire en France - le Génoplante étant la manifestation la plus
évidente de cette privatisation d'un service public.
Nous aurons droit alors au progrès agronomique le plus profitable pour
les transnationales et le plus ruineux pour la collectivité (l'exemple
du maïs dit "hybride" le démontre, hélas, en toute clarté). Les
transnationales décideront de l'agenda de nos travaux de chercheurs
"publics". Si nos grands anciens pouvaient négocier avec les
"semenciers" traditionnels (les Deprez, Pichot, Benoît, Vilmorin,
Tezier) et faire prévaloir l'intérêt "général" sur l'intérêt
particulier), cela ne sera pas possible avec Monsanto, Novartis, Rhône
Poulenc, ou DuPont-Pioneer. Personne parmi nous, je l'espère, ne nourrit
la moindre illusion à ce propos.
Je souhaite que nous prenions conscience de l'impasse dans laquelle nous
engage la Direction Générale de l'INRA et que nous fassions connaître
notre désaccord avec sa politique suicidaire consistant à faire de nous
les domestiques des multinationales au nom du bobard de la compétitivité
et de celui de la "révolution" des biotechnologies.
Quitte à me répéter, l'agriculture transgénique est un piège. C'est le
produit de la volonté de puissance et de domination de quelques firmes.
Monsanto fait 78% des OGM commercialisés dans le monde ! Méditons ce
chiffre. En ce qui nous concerne, nous, chercheurs publics, nous
avons bien mieux à faire par d'autres méthodes que la transgénèse - pour
la collectivité, pour ceux qui viendront après nous, pour notre
environnement que de travailler à donner un pouvoir immense à ces
quelques entreprises.
Bien cordialement,
--
Jean-Pierre BERLAN
Directeur de recherches
INRA/CTESI
Mel : jpe.berlan@wanadoo.fr
Web : www
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